Octobre 1905. Le Salon d’Automne approche. Les élégantes fourbissent leurs armes de séduction pour le vernissage. Qui portera le chapeau Guillaume Tell, très en vogue ? Ce petit bibi posé de travers, fiché d’immenses plumes à la colonelle, risque d’en aveugler plus d’un. Ça, c’est Paris ! Au Grand Palais, George Desvallières, « placeur » du Salon, a accroché dans la salle VII les œuvres de Matisse, Camoin, Derain, Vlaminck, Friesz … Au centre de cette sauvagerie moderne trônent deux classiques bustes d’enfant en marbre d’Albert Marque. Louis Vauxcelles, critique du « Gil Blas », note : « La candeur de ces bustes surprend au milieu de l’orgie : Donatello chez les Fauves ». Le fauvisme est baptisé, dans le tumulte d’un scandale qui rappelle les temps héroïques de l’impressionnisme.

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Des vaches maigres aux beaux quartiers

Après « Paris 1900 » et « Paris romantique », « Le Paris de la modernité », dernier volet de la trilogie conçue par Christophe Leribault, alors directeur du Petit Palais, s’ouvre sur cet événement fondateur de 1905. Il se clôt avec l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes en 1925. « C’est à la fois le chant du cygne de l’Art Déco qui, aussitôt nommé, commence à décliner, mais aussi son rayonnement dans le monde entier depuis Paris, déclare Juliette Singer, commissaire de l’exposition. 1925 marque aussi l’arrivée à Paris de Joséphine Baker avec la Revue nègre, acmé de cette grande période moderne. Ces deux dates nous permettent d’embrasser à la fois la Belle Époque, la Grande Guerre et les Années folles, vingt années riches en rebondissements, rarement évoquées au sein d’une même exposition. »

Kees van Dongen, Joséphine Baker, 1925, encre de Chine et aquarelle sur papier, 71,1 x 48,3 cm, dépôt au musée Singer Laren, Meerhout. © ADAGP, Paris 2023. Photo © AKG images

Kees van Dongen, Joséphine Baker, 1925, encre de Chine et aquarelle sur papier, 71,1 x 48,3 cm, dépôt au musée Singer Laren, Meerhout. © ADAGP, Paris 2023. Photo © AKG images

Pour mieux prendre la température de cette époque extraordinairement féconde, l’exposition montre comme un fil rouge des créateurs à plusieurs étapes de leur carrière. Picasso d’abord. « Évoquer la modernité sans Picasso, c’est impossible, s’exclame Juliette Singer. Le parcours de l’exposition commence avec sa Période bleue, au temps du Bateau-Lavoir, celui des vaches maigres. […] En 1917 il évolue avec les Ballets russes et Parade. Son mariage avec Olga Khokhlova, fille d’un colonel de l’armée impériale russe, le fait changer de statut social. Il emménage dans la très chic rue La Boétie. » Ce changement d’adresse souligne l’importance nouvelle du quartier des Champs-Élysées dans ce Paris moderne. Les jeunes artistes décrochent des contrats dans les galeries du VIIIe arrondissement, Druet, Bernheim-Jeune, Kahnweiler. Temple de l’art moderne, le tout nouveau Théâtre des Champs-Élysées accueille en 1913 les Ballets russes.

Pablo Picasso, Portrait d’Olga dans une fauteuil, printemps 1918, huile sur toile, 130 x 88,8 cm, musée national Picasso, Paris © Succession Picasso 2023 - Gestion droits d’auteur Photo © RMN- Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau 

Pablo Picasso, Portrait d’Olga dans une fauteuil, printemps 1918, huile sur toile, 130 x 88,8 cm, musée national Picasso, Paris © Succession Picasso 2023 – Gestion droits d’auteur Photo © RMN- Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau

Autre « fil rouge » de l’exposition, le couturier Paul Poiret s’installe avenue d’Antin (Franklin-Roosevelt). « Dans les années 1910, Poiret, à qui on attribue la suppression du corset dans la mode féminine, incarne la modernité. » Pendant la guerre, il propose à l’armée certaines améliorations pour la capote du soldat. Nous le retrouvons en 1925, au moment de l’Exposition des Arts décoratifs. Il présente ses créations dans trois péniches qu’il arrime au pied du pont Alexandre III. Mais une génération montante de couturiers comme Jean Patou va l’éclipser dans les avant-gardes.

Paul Poiret, robe Delphinium dite « Robe Bonheur » avec fond de robe à modestie pour Denise Poiret, 1912, Palais Galliera, Paris © Paris Musées / Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris

Paul Poiret, robe Delphinium dite « Robe Bonheur » avec fond de robe à modestie pour Denise Poiret, 1912, Palais Galliera, Paris © Paris Musées / Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris

Également récurrentes dans l’exposition, et bien moins connues, la Russe Marie Vassilieff et la Française Jacqueline Marval permettent de souligner l’émergence des artistes femmes.  « C’est Marie Vassilieff qui organise avec Max Jacob un banquet devenu légendaire en l’honneur de Georges Braque, blessé à la guerre. Tous les artistes y étaient conviés sauf Modigliani. »  Beatrice Hastings, son ancienne compagne, avait un nouvel amant… « Modigliani vient quand même, menace son rival … qui brandit un révolver. Dessinée a posteriori par Marie Vassilieff, la scène tourne au vaudeville. » Après-guerre, elle crée des costumes pour les Ballets suédois et d’extraordinaires poupées cubistes.

Amedeo Modigliani, Maternité, 1919, huile sur toile, 130 x 81 cm, musée National d’Art moderne, Centre Georges Pompidou, © RMN-Grand Palais (Centre Pompidou, MNAM CCI) / Bertrand Prévost

Amedeo Modigliani, Maternité, 1919, huile sur toile, 130 x 81 cm, musée National d’Art moderne, Centre Georges Pompidou, © RMN-Grand Palais (Centre Pompidou, MNAM CCI) / Bertrand Prévost

Un vent de liberté

Si Berlin, Vienne ou Munich voient à la même époque fleurir certains des mouvements majeurs de l’art du XXe siècle, Paris séduit par son caractère cosmopolite, le vent de liberté qui y souffle. La religion, l’appartenance ethnique n’y sont pas discriminées. « Alors que les pogroms sévissent en Europe de l’Est, des artistes comme Chaïm Soutine peuvent vivre à Paris la vie qu’ils souhaitent, et même braver les interdits de représentation liés à leur religion, rappelle Juliette Singer. Dans ses écrits, Chagall évoque ces artistes juifs attirés par Paris sur laquelle semble flotter une “lumière-liberté”. » Ils sont éblouis par cette société où les femmes sont partout, artistes, modèles, mécènes, et jouissent d’une autonomie financière.

Chaïm Soutine, La Fiancée, 1923, huile sur toile, 91 x 55 cm, établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie - Valéry Giscard d’Estaing, Paris, photo © RMN-Grand Palais (musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski

Chaïm Soutine, La Fiancée, 1923, huile sur toile, 91 x 55 cm, établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie – Valéry Giscard d’Estaing, Paris, photo © RMN-Grand Palais (musée de l’Orangerie) / Hervé Lewandowski

Si le tableau n’est pas toujours idyllique, l’absence de préjugés, la liberté de pensée, les scandales mêmes (car le public s’exprime) attirent les artistes, éblouis par des œuvres à la pointe de la modernité. Paris, c’est aussi un art de vivre, les terrasses de cafés. Après-guerre, on vient voir les Parisiennes maquillées, coiffées à la garçonne. Les cités d’artistes de Montmartre et Montparnasse accueillent la fine fleur de la bohème moderniste. Au Bateau-Lavoir, à la Ruche, à la Cité Falguière, dans les cafés, les échanges entre artistes fusent. « On côtoie de véritables génies comme Matisse et Picasso qui se “ challengent ” l’un l’autre. Les avancées de Matisse dans le fauvisme poussent Picasso vers le cubisme qui, à son tour, va générer d’autres artistes, d’autres mouvements, dont les futuristes italiens. »

Marevna, La mort et la femme, 1917, huile sur bois, 107 x 134 cm, association des Amis du Petit Palais, Genève, photo © Studio Monique Bernaz, Genève

Marevna, La mort et la femme, 1917, huile sur bois, 107 x 134 cm, association des Amis du Petit Palais, Genève, photo © Studio Monique Bernaz, Genève

Humour et canulars

Accueillant les grands noms de l’art moderne, de Modigliani à Mondrian, de Robert Delaunay à Fernand Léger et Marcel Duchamp, l’exposition donne aussi une place à la critique et à l’humour. Juliette Singer se réjouit d’avoir obtenu le prêt du tableau signé Joachim Boronali, canular monté par Roland Dorgelès et une bande de joyeux lurons qui exposent au Salon des Indépendants de 1910 cette œuvre peinte en grande partie par la queue d’un âne ! « Le côté dogmatique de l’avant-garde est contrebalancé dans l’exposition par l’évocation de saines réactions humoristiques. »

Robert Delaunay, hommage à Blériot, 1914, huile sur toile, 46,7 x 46,5 cm, musée de Grenoble, photo © Ville de Grenoble /Musée de Grenoble / J.L. Lacroix

Robert Delaunay, hommage à Blériot, 1914, huile sur toile, 46,7 x 46,5 cm, musée de Grenoble, photo © Ville de Grenoble /Musée de Grenoble / J.L. Lacroix

À l’ombre des phares du XXe siècle, on découvrira encore quelques artistes plus discrets, à commencer par Albert Marque, l’infortuné « Donatello » de 1905, tombé dans les oubliettes. L’exposition accueille également des cubistes policés comme Albert Gleizes, Jean Metzinger, Roger de La Fresnaye. Régulièrement présents dans les salons, ils influencent Mondrian dans son évolution vers l’art abstrait. Architecture, mode, cinéma, photographie, danse, industrie, l’exposition scénographiée par Philippe Pumain accueille toutes les innovations, jusqu’à un Bébé Peugeot de 1909 carrossé par Bugatti et un splendide aéroplane Deperdussin type B de 1911. N’est-ce pas en sortant du Salon de la locomotion aérienne que Marcel Duchamp bricole son premier ready-made, une roue de bicyclette posée sur un tabouret, s’exclamant : « C’est fini, la peinture » ? La riche section consacrée à la Première Guerre mondiale permet de découvrir quelques raretés : des objets de camouflage créés par les artistes.

Marcel Duchamp, Roue de bicyclette, 1913/1914, 126,5 x 31,5 x 6,5, 53 cm, 73 cm, 63,5 cm, objet, métal, bois peint, musée National d’Art moderne, Centre Georges Pompidou © ADAGP, Paris 2023 © Association Marcel Duchamp Photo © RMN-Grand Palais (Centre Pompidou, MNAM-CCI) / Christian Bahier / Philippe Migeat

Marcel Duchamp, Roue de bicyclette, 1913/1914, 126,5 x 31,5 x 6,5, 53 cm, 73 cm, 63,5 cm, objet, métal, bois peint, musée National d’Art moderne, Centre Georges Pompidou © ADAGP, Paris 2023 © Association Marcel Duchamp Photo © RMN-Grand Palais (Centre Pompidou, MNAM-CCI) / Christian Bahier / Philippe Migeat

Le rideau tombe sur l’éblouissant finale de l’évocation de l’Exposition de 1925. Ours blanc de François Pompon, robes de Jeanne Lanvin présentées, comme à l’origine dans le Pavillon de l’Élégance, sur un fond de papier peint vénitien, portées par des mannequins Siégel d’origine, extraordinaire ensemble de bijoux Cartier… Triomphe d’un luxueux art de vivre, l’exposition est vue par quinze millions de visiteurs. 1925, c’est aussi l’arrivée de Joséphine Baker dans la capitale, la fièvre du jazz. Paris accueille, Paris scintille. « Paris… Reine du monde », chante Mistinguett.

 

Les + : Quatre cents œuvres de la folle période 1905-1925, toutes disciplines confondues. Des artistes phares, Picasso, les Fauves, Delaunay, Mondrian, Marcel Duchamp, mais aussi des bijoux Cartier, un avion… Et aussi de belles surprises : Jacqueline Marval, Marie Vassilieff, Marevna. À noter, la section passionnante consacrée à la Guerre de 14. Les – : La très longue (trop longue ?) période retenue est si fertile que les jalons avant-gardistes ont éclipsé les « modernes » de la deuxième ligne. Tamara de Lempicka, encore ! Mais où est la belle figuration qu’affectionnait Paul Poiret et la galerie Barbazanges ? Où sont les Dunoyer de Segonzac, Jean-Louis Boussingault, Luc-Albert Moreau, Charles Dufresne … ?

« Le Paris de la modernité 1905-1925 »
Petit Palais
Avenue Winston-Churchill, 75008 Paris
Jusqu’au 14 avril


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