, Jacques Attali au JDD : « Le plus proche de Jacques Delors est Raphaël Glucksmann

Le JDD. Jacques Delors, ancien ministre de l’Économie et premier président de la commission européenne, s’est éteint à l’âge de 98 ans. Que retenez-vous de son action ?

Jacques Attali. Il fut un formidable exécutant de la dimension économique et financière du programme considérable de Francois Mitterrand et de la gauche unie de 1981 à 1984, mettant en œuvre toutes ces réformes majeures, devenues des évidences aujourd’hui, en les accompagnant de toute l’exigence financière nécessaire. Malgré ses réticences à l’égard de nombreuses mesures sociales, qu’il aurait voulu étaler dans le temps, il fut un très loyal partenaire de cette phase originale où un nouveau pouvoir met en œuvre en quelques mois des centaines de reformes fondamentales. Contrairement à ce qu’on répète trop souvent, il n’est pas l’artisan d’un « tournant » en 1983: il n’y a pas eu de « tournant », seulement un arrêt des augmentations de dépenses sociales. Il y aurait eu tournant si on avait remis en cause les réformes de structures, ou une sortie de l’Europe. Ces deux « tournant » ont été refusés, grâce à Jacques Delors et surtout grâce à Pierre Mauroy qui surent, avec quelques autres, convaincre Francois Mitterrand de ne pas abandonner le projet européen pour la chimère du « socialisme dans un seul pays ». En Europe, Jacques Delors fut aussi un formidable exécutant des politiques  impulsées pour la plupart par le chancelier allemand et le président français. On lui doit une mise en œuvre impeccable de leurs rêves communs : libre circulation des personnes, monnaie unique, plus grand pouvoir au parlement. Je retiens de lui son extraordinaire lucidité, sa loyauté, sa grande capacité pédagogique, sa capacité à créer des consensus.

Vous avez travaillé avec Jacques Delors sous la présidence de François Mitterrand, vous en tant que conseiller spécial, lui comme ministre de l’Économie. Vous l’avez connu. Jacques Delors était pudique, très discret sur sa vie. Quel homme était-il ?

C’était un homme discret, en effet, très attaché à sa famille. Il s’animait beaucoup en parlant de jazz et de  football. Conscient aussi de sa valeur. Très soucieux de préserver son intégrité morale. Obsédé à l’idée des dangers qu’une politique trop laxiste ferait courir au pays. Il avait de plus parfaitement conscience qu’il était là par hasard : il n’aurait jamais du être ministre des finances, ni président de la Commission Européenne. Il n’a été ministre en 1981 que parce que celui à qui le poste était naturellement dévolu, André Boulloche, grand résistant et grand ministre de de Gaulle, socialiste de toujours, venait de mourir dans un absurde accident d’avion. Et il n’ a été président de la Commission Européenne que parce que le Chancelier allemand, Helmut Kohl, a refusé d’y nommer un Allemand alors que c’était à son tour de proposer un président de la Commission : il ne voulait pas que brille en Europe un autre Allemand que lui. Francois Mitterrand a réussi a faire choisir Jacques Delors par le chancelier, lors d’un petit déjeuner mémorable de juin 1984, à Fontainebleau. Il avait une idée de l’Europe, en 2020. Et nous en parlions souvent, dès 1980. Et même avant, quand il nous a rejoint dans l’équipe de campagne du candidat de la gauche.   

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«Jacques Delors incarne le meilleur de la social démocratie pro-européenne»

Voyez-vous un successeur actuel à Jacques Delors, à gauche ou ailleurs, ou bien son action reste attachée à une époque révolue ?

Jacques Delors incarne le meilleur de la social démocratie pro-européenne. Soucieuse d’un travail en équipe, et pas d’aventure personnelle. Je suis convaincu que les valeurs qu’il incarne représentent le meilleur possible pour l’Europe de demain, avec plus d’exigence encore pour le droit des femmes, des enfants, de la nature et, plus généralement, du long terme. Pour moi, même s’il est très différent, Raphaël Glucksmann est le plus proche de l’idée que Jacques Delors pouvait se faire d’un homme politique pour demain : passionnément pro-européen, soucieux des combats pour la justice, et moderne.

Jacques Delors était-il un idéaliste ? Son rêve européen pourra-t-il se transmettre aux générations suivantes ? À quelles conditions ?

On ne fait pas de politique, quand on est un homme d’état, sans être à la fois idéaliste et pragmatique. Jacques était d’abord un grand pragmatique. Soucieux d’avancer pas à pas, sans lâcher une boussole, un idéal. Il inscrivait son action dans un projet à quarante ans. Il faudrait aujourd’hui un projet « Europe 2050 ». Ce sera d’autant plus nécessaire quand on comprendra mieux que l’Europe est le continent où il fait le meilleur vivre au monde et que nous, européens, sommes une proie pour les Russes, pour les Chinois et pour les Américains qui nous guettent et nous pillent, chacun à leur façon. Un jour on réalisera combien nous sommes seuls. Il serait important de le comprendre dès aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard. De prolonger politiquement, par une Europe de la défense, de la santé, et de l’éducation, l’œuvre de Francois Mitterrand, Helmut Kohl, et Jacques Delors.

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